« La fusion de la culture hip-hop et du mouvement rastafari » est le titre d’un livre
intéressant et original qui vient de paraître chez L’Harmattan. Entrevue avec Steve
Gadet, l’auteur de cet ouvrage traitant de la rencontre du hip-hop, mouvance culturelle
et artistique née dans les quartiers défavorisés de New York dans les années 1970, et de
rastafari, mouvement religieux apparu dans les ghettos de Kingston dans les années
1930.
Afiavi magazine : Steve Gadet, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et nous dire ce
qui a motivé vos recherches ? Comment avez-vous découvert les mouvements hip-hop et
rastafari ?
Steve Gadet : Je suis enseignant d’anglais au Département de Lettres et de Sciences-humaines
à l’Université des Antilles-Guyane en Guadeloupe. J’ai étudié et enseigné en Martinique et en
Jamaïque. Lors de mes premiers travaux de recherches, je me suis intéressé au mouvement
hip-hop en tant que mouvement noir pour conclure qu’il était devenu multiculturel. J’ai
découvert l’univers hip-hop en 1995 en partant à Atlanta. Je me suis alors intéressé au
mouvement rastafari grâce à mon oncle et ma tante. Puis, j’ai remonté le courant des deux
mouvements par mes lectures, mes voyages et mes découvertes musicales. C’est en écoutant
la chanson d’un rappeur rasta que l’idée m’est venue d’analyser la fusion de ces deux
phénomènes culturels.
Quelle place occupez-vous dans ces univers ?
Je suis un observateur mais je suis moi-même rappeur. J’ai commencé à le pratiquer en 1998.
Cependant, quand je m’intéresse au phénomène, ce n’est pas le rappeur qui parle mais le
chercheur qui essaie de garder un regard critique et d’apporter une réflexion scientifique.
Mais c’est sûr que l’un n’est jamais trop loin de l’autre ; le rappeur aide le chercheur à
pénétrer certains milieux et à décoder certaines choses et vice-versa.
Quels sont les principaux points de convergence et de divergence entre la culture hip-
hop et le mouvement rasta ?
Pour ce qui est des points de convergence, ce sont des mouvements issus des classes
ouvrières, défavorisées noires. Ce sont aussi des réactions à la ségrégation résidentielle et à la
marginalisation socio-culturelle imposées à ces populations. Concernant les divergences, les
formes de la créativité sont différentes car ils n’évoluent pas dans le même contexte. Le
nationalisme noir et l’utilisation des substances psychoactives jouent certains rôles, mais qui
restent important dans ces deux mouvements. En plus, le discours tenu par les adeptes est
différent ; le reggae a gardé un ancrage spirituel et sociopolitique alors que le rap tient des
discours plus diversifiés.
Quelles sont les causes historiques et sociologiques ayant conduit respectivement à
l’émergence d’une culture hip-hop en Jamaïque et au mouvement rasta aux USA ?
La proximité géographique et les médias ont joué un rôle important. La culture hip-hop s’est
imposée en Jamaïque en deux temps. D’abord avec l’immigration des jeunes Jamaïcains aux
Etats-Unis. Puis, dans les années 1990, par l’accès à la télévision câblée. Bien sûr, ces jeunes
se sont identifiés aux jeunes Africains-Américains et à leur mode d’expression. De plus, les
échanges musicaux entre ces deux pays ont commencé il y a très longtemps et cette tradition
continue encore aujourd’hui. Le mouvement rasta s’est expatrié aux Etats-Unis grâce à
l’internationalisation du reggae avec, notamment, la musique de Bob Marley.
Les mouvements hip-hop jamaïcain et rastafari américains possèdent-ils leurs propres
caractéristiques ?
Effectivement, ils possèdent des caractéristiques propres car chaque mouvement est
réinterprété en fonction du contexte local. Je me suis beaucoup appuyé sur le concept de
« Glocalisation » (NDLR : combinaison des mots global et local) qui décrit bien ce
phénomène. Le mouvement hip-hop en Jamaïque est influencé par la langue locale, la
musique, la réalité et les traditions tout en essayant d’attirer l’attention des Américains. Quant
au mouvement rastafari aux Etats-Unis, il est plus organisé et mieux structuré.
La culture hip-hop n’a-t-elle pas du mal à exister face aux styles locaux dominants
comme le reggae et surtout le dancehall?
La tradition hip-hop a du mal à s’imposer face au dancehall et ce pour plusieurs raisons. La
danse locale étant trop prégnante, le hip-hop intéresse peu les jeunes. Ceux qui nourrissent
leur passion pour le rap ont généralement des relations à l’étranger et ont les moyens de
voyager. Le dancehall est plutôt ancré dans les masses populaires. Les rappeurs que j’ai
rencontrés sont « accusés » de trahir leur culture. Mais ils essaient quand même de monter des
réseaux pour sortir de cette image « underground ».
Les Blancs américains se sentent-ils concernés par le mouvement rasta, comme c’est le
cas en France par exemple, ou les Noirs sont-ils les seuls à se reconnaître dans ce
mouvement ?
Oui une partie de la population blanche se sent concernée. Je dirai même qu’une partie de la
jeunesse blanche et sino-américaine adhère au mouvement rasta. Ils y adhèrent pour des
raisons religieuses ou encore sociopolitiques. Il existe des groupes de reggae composés
entièrement de musiciens et chanteurs blancs. Il y a des gérants de labels reggae américains
blancs. Il y a même eu dans les années 1970 et 1980 une secte rasta créée aux Etats-Unis par
des Blancs et qui a tenté une percée en Jamaïque.
Aux Antilles françaises, existe-t-il des similitudes avec le mouvement rasta étasunien et
la culture hip-hop jamaïcaine ?
Je suis Guadeloupéen, et le mouvement rasta a eu de mauvais jours dans mon pays durant les
années 1970 et 1980. Les premiers rastas ont été assimilés à des voyous donc certains ont
vécu des expériences difficiles. Aujourd’hui, les choses sont plus calmes car le mouvement y
est visible et actif, mais il n’a rien à voir avec celui des Etats-Unis. Il est moins organisé et
très décentré. Certes il y a de vrais adeptes qui vivent en marge de la société et qui sont
retournés vivre à la campagne, mais il n’y a pas de représentant politique ni social. Les rastas
s’expriment principalement par la musique. La culture hip-hop, elle est arrivée dans les
années 1980 avec H.I.P.H.O.P de Sidney. Elle a connu son ascension durant les années 1990
avec des concerts, des radios, des festivals, un label et ses productions.
Quels sont vos projets ? Envisagez-vous d’écrire d’autres ouvrages sur le sujet ?
Mon deuxième livre devrait être publié dans quelques mois. Je m’intéresse à tout ce qui a pu
influencer la culture hip-hop, de Barack Obama à la violence en passant par le capitalisme et
l’Afrique. Il s’intitulera « La culture hip-hop dans tous ses états » aux éditions L’Harmattan.
J’ai d’autres projets d’écriture en cours. Je compte traduire mon livre en anglais pour élargir
mon lectorat. Enfin, je compte voyager (France, Canada, Afrique) pour présenter mon
ouvrage.
Jérémie Kroubo Dagnini.